ISLAMO-GAUCHISME, CONCEPT ANCIEN ET RÉALITÉ ACTUELLE

En une seule phrase, Jean-Michel Blanquer provoque un débat intéressant sur les dangers de l’islamo-gauchisme. En fait, il ne fait que l’ouvrir à nouveau car il est ancien. Le ministre de l’Éducation nationale pointe, après le terrifiant et symbolique assassinat du professeur d’histoire Samuel Baty, les dangers croissants et les dérives politiques, notamment à l’Université, qui facilitent la progression de l’islamisme radical. Il a aussi nommé expressément le parti La France Insoumise (#LFI) de @Jean-Luc Mélenchon et le syndicat #UNEF comme favorisant cette idéologie qui « de loin en loin, mène au pire ». Ces derniers propos ont été violemment récusés par les intéressés et contestés, à l’unanimité, par les présidents d’Université. Une mise en perspective sur quelques années me semble riche d’enseignements. On oublie vite et la mémoire est faillible.

L’islamo-gauchisme, un concept ancien

Un premier reproche est formulé : l’islamo-gauchisme serait une notion creuse, floue, artificielle au seul but d’enfumer, d’étouffer les vrais débats, ce que souhaiterait avant tout le gouvernement. Rappelons que le propos ne date pas d’aujourd’hui. En août 2016, Jacques Julliard, l’historien et homme de gauche s’interrogeait : « Il y a un problème de l’islamo-gauchisme. Pourquoi et comment une poignée d’intellectuels d’extrême gauche, peu nombreux mais très influents dans les médias et dans la mouvance des droits de l’homme, ont-ils imposé une véritable sanctuarisation de l’islam dans l’espace politique français ? ». On note que l’éditorialiste de l’hebdomadaire Marianneévoquait déjà « une poignée d’intellectuels ». Le 2 avril de la même année, Elisabeth Badinter écrit : « Être traité d’islamophobe est un opprobre, une arme que les islamo-gauchistes ont offerte aux extrémistes. »

Plus avant, en janvier 2002, @Pierre-André Taguieff, au sein de la Fondation du 2-Mars, de tendance souverainiste et d’orientation chevènementiste, évoque l’islamo-gauchisme dans son livre La Nouvelle Judéophobie. L’historien des idées y condamnait l’antisionisme de « la nouvelle configuration tiers-mondiste, néo-communiste et néo-gauchiste, plus connue sous la désignation médiatique de « mouvement antimondialisation ». À ses côtés, le démographe @Emmanuel Todd ou @Henri Guaino le futur plumitif de @Nicolas Sarkozy. Sur le concept d’islamo-gauchisme Pierre-André Taguieff précisait : « Ce genre d’amalgame se justifie à condition d’en définir le sens précisémentMais le sens devient de plus en plus vague à mesure qu’il devient un terme polémique. On ne peut pas maîtriser les effets de langage. ».

Le langage peut effectivement déraper, volontairement ou involontairement, mais la parole politique peut rester ferme et sans ambiguïté. Ainsi, @Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre et ministre de l’intérieur s’est exprimé sur France Inter le 20 octobre, antenne où il a fustigé « l’islamo-gauchisme » et pointé les « discours ambigus d’un certain nombre de groupes gauchistes ». Et d’ajouter, afin d’être bien compris : « Je parle bien entendu d’un certain nombre de députés insoumis qui ne se comportent pas de façon républicaine (et) sont grandement responsables de ce qui existe dans ce pays. » On ne peut être plus clair.

L’ancien président de la République @François Hollande, dans un autre registre de vocabulaire, n’est pas loin des propos de son ancien premier ministre : « Une partie minoritaire de la gauche a pu manifester une étrange tolérance envers l’islam qu’elle n’avait jamais admise pour les autres cultes, en particulier le culte catholique. » Étrange tolérance en effet… Dans l’article cité plus haut, Jacques Julliard s’interrogeait sur ce point : « Il y a quelque chose d’insolite dans le néocléricalisme musulman qui s’est emparé d’une frange de l’intelligentsia. Parce que l’islam est le parti des pauvres, comme ils le prétendent ? Je ne crois pas un instant à ce changement de prolétariat. Du reste, allez donc voir en Arabie saoudite si l’islam est la religion des pauvres. Je constate plutôt que l’islamo-gauchisme est né du jour où l’islamisme est devenu le vecteur du terrorisme aveugle et de l’égorgement. »

La terreur, nous y sommes plongés, année après année, par des attaques barbares et ciblées au but d’intimidation. Le journaliste et écrivain Kamel Daoud a vécu la même situation (à une échelle dramatiquement incomparable) lors de la décennie sanglante (1990-2000) de la guerre entre les islamistes et le pouvoir : « Assassinats d’agents de l’État, de policiers, d’enseignants, d’universitaires, de médecins, d’artistes, de journalistes, de militaires, d’imams non orthodoxes selon la doxa islamiste. » * Une partie des mêmes professions a déjà été visée chez nous.

Gauchisme et islam radical

Si l’on veut s’attarder un instant sur les mots gauchisme et islam radical, on sera encore moins surpris de les voir exister depuis plus longtemps encore. Avant de coexister, et à certaines occasions d’œuvrer ensemble.

Le gauchisme – Bien que ne l’ayant jamais rejoint dans mes aventures politiques, j’ai vécu l’existence du gauchisme à l’Université où les gauchistes ne manquaient pas. Les facultés étaient déjà leur terrain de jeux favori. Il y avait les différents groupes trotskystes, Ligue Communiste Révolutionnaire (#LCR), Lutte Ouvrière (#LO), Alliance des Jeunes pour le Socialisme (#AJS) … mais aussi des maoïstes à la Gauche Prolétarienne ou à Front Rouge. Des tomes entiers de littérature militantes sont nécessaires à lire pour comprendre l’histoire de ces mouvements aux fractionnements multiples et répétés. Le Parti Communiste Français (#PCF) n’était pas tendre envers ces « gauchistes » qui le lui rendaient bien. Au PCF, on lisait « La maladie infantile du communisme (le gauchisme) », ouvrage du camarade Lénine. Au niveau syndical, il y avait deux #UNEF, celle des communistes et celle des trotskystes. Tout cela pour dire, qu’évoquer le gauchisme et sa présence dans l’Université, c’est un peu découvrir qu’il y a des arbres dans la forêt. En voyant le bon côté des choses, on parlera de la forêt des idées. Elles furent, et sont encore probablement pour certains, parfois généreuses. Mais, tradition et éducation obligent, elles sont le plus souvent l’occasion d’un besoin d’affirmation, voire de celui d’œuvrer en religion. Les idées gauchistes furent et sont encore marquées du dogmatisme le plus obtus et fermées comme les visages de leurs leaders et les portes de leurs cénacles. L’avantage, c’est que ces engagements et cette croyance en des utopies qui n’en sont guère, ont été le plus souvent vite abandonnés, même si des hommes politiques importants en ont été issus, comme l’ancien premier ministre @Lionel Jospin ou @Jean-Luc Mélenchon. Le gauchisme est une composante du débat politique français, même s’il est grandement déclinant. Mais à l’heure où, pour certains, faire de la politique passe par des propos à l’emporte-pièce, criés davantage que débattus, le relais des médias suivistes des réseaux sociaux lui assure une caisse de résonnance inespérée. De ce point de vue, les activistes gauchistes sont des experts… comme le sont les islamistes radicaux dont on sait combien les médias internet sont un moyen d’expression et de recrutement efficace, principalement pour attirer la jeunesse en quête d’idéal et d’aventure.

L’islamisme et l’islamisme radical – Avant 1970, on évoquait la religion musulmane, les musulmans et, à cette époque, est apparu le terme « islamisme » pour définir un courant de pensée. Depuis les interprétations ont été nombreuses, mais l’on peut retenir que le mot sert à définir un islam politique pour le différencier de l’islam de foi. Pour l’islamologue Bruno Etienne et de nombreux commentateurs, on peut parler aussi d’islamisme radical. Pour illustrer cette différence, on peut citer le propos de Chems-Eddin Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, prononcé après la décapitation de Samuel Paty : « Nous constatons la montée en puissance d’une société parallèle, des enseignements sauvages dans des écoles coraniques de fait, où se déploie l’endoctrinement d’imams autoproclamés. (…) L’islam politique a ensuite exploité les faiblesses de la démocratie en pratiquant l’entrisme. Aujourd’hui, la référence religieuse, ce n’est plus le recteur de la Grande Mosquée de Paris, je ne suis même pas un musulman aux yeux de certains. » Société parallèle et entrisme, cette tactique trotskyste éprouvée… L’entreprise de conquête patiente par grignotage successifs de la démocratie, des droits et devoirs dans notre République sont bien à l’œuvre dans la société, les musulmans qui ne partagent pas ce fanatisme à l’objectif destructeur en sont conscients et en sont aussi les victimes.

Pour Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, il n’y a pas de mot plus explicite que le mot islamogauchisme : « Il y a une campagne pour que le terme « islamogauchisme » ne soit pas employé, parce que ce terme désigne trop bien ce qu’il désigne. »

Si l’on revient à l’Université, relisons @Julien Dray, ex-député #PS, fondateur de #SOS Racisme et lui-même ancien cadre de l’Unef interviewé en mai 2018 par Marianne : « Je l’ai dit et je le redis : on peut porter le voile et être adhérente d’un syndicat, mais en être responsable, le représenter et, donc, devenir un symbole ou une référence, non ! Car on porte une parole collective qui, pour être justement représentative, se doit de se plier à une discipline laïque. J’ajoute que le voile, quoi qu’en disent ses défenseurs, n’est pas un signe religieux. Il est d’abord un signe politique qui construit un statut particulier pour la femme. Après, l’individu peut faire le choix à titre individuel de l’accepter, mais il ne peut l’imposer aux autres. C’est donc le statut de dirigeante ou de porte-parole qui pose problème. J’ajoute que l’Unef n’est pas une corpo, mais un syndicat qui revendique une histoire, des valeurs et des combats… la jeunesse de gauche doit renouer avec son passé « émancipateur » de défense de la laïcité et des droits des femmes. » On peut citer aussi @Céline Pina, aujourd’hui sans mandat politique après vingt ans de militantisme au Parti socialiste (#PS) et qui en fut une élue au conseil régional d’Île-de-France. Après avoir signé un appel de 100 intellectuels contre le « séparatisme islamiste » en 2018, elle dénonce l’infiltration des mouvements de jeunesse par les Frères musulmans et le « développement des filières indigénistes et islamistes ». Elle ajoute : « Ce sont les étudiants musulmans de France (#EMF), filiale des frères musulmans, qui en sont chargés. Visiblement dans certains endroits, la manipulation a réussi. » 

Ces deux positions témoignent d’une stratégie tournée vers les universités françaises. Ce n’est pas une lubie de Jean-Michel Blanquer. Reprenons son propos qui, mis en perspective, apparaît principalement descriptif : « L’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université, il fait des ravages quand l’Unef cède à ce type de chose, il fait des ravages quand, dans les rangs de La France insoumise, vous avez des gens qui sont de ce courant-là et s’affichent comme tels. Ces gens-là favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène au pire. » N’évoque-t-il pas une réalité ?

Bien sûr, la Conférence des présidents d’université (#CPU) a raison de dire : « Non, les universités ne sont pas des lieux où se construirait une « idéologie » qui mène au pire. Non, les universités ne sont pas des lieux d’expression ou d’encouragement du fanatisme. Non, les universités ne sauraient être tenues pour complices du terrorisme. La mission de diffusion de la culture scientifique et technique fait, au contraire, de nos établissements des institutions de démocratisation de la connaissance scientifique, indispensable dans la cité, à l’heure des désordres de l’information et du succès du complotisme, terreaux des extrémismes ». Mais, pour autant, à tous les niveaux de l’Éducation nationale, est-ce que l’on ne doit pas s’interroger sur cette volonté de l’islam radical d’obtenir des soutiens, notamment à l’Université ?

Pour être d’ailleurs complet et juste, Jean-Michel Blanquer aurait dû ajouter qu’il n’y a pas que l’islamo-gauchisme, il y a aussi l’islamo-fascisme. En effet, les islamistes ne négligent pas les liens avec l’extrême-droite. Preuve en est, le collectif #Cheik Yassine fondé par @Abdelhakim Sefrioui, mis en examen la semaine dernière pour « complicité d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste », ne négligeait pas de faire appel à deux proches de @Marine Le Pen, @Frédéric Chatillon et @Axel Lousteau comme prestataires. Sans compter ses amitiés avec Dieudonné et son soutien au régime syrien de Bachar el Assad.

La réaction des outragés

Que les ténors de La France Insoumise et autres mouvements ou associations se sentant visés réagissent sur les plateaux audiovisuels, ne peut surprendre. C’est logique et l’on peut dire souhaitable. Toutefois, leurs prestations actuelles, forte de propos à double sens et de faux-fuyants ne sont pas nécessairement à mettre au crédit de leur défense.

Ce jour-même, Jean-Luc Mélenchon sur France-Inter, interrogé sur #Charlie-Hebdo et les caricatures de Mahomet a cette réponse étonnante : « Je suis partisan de la liberté d’expression de crayonner, mais ne me demandez pas d’être d’accord avec tout ce qu’ils font ». On notera le quelque peu méprisant « crayonner », mais surtout, sa réponse aurait pu être « Je n’aime pas toutes les caricatures… » mais il préfère le « Je ne suis pas d’accord avec toutes… », expression volontairement politique. Quelles caricatures le choquent ? Pourquoi ? On n’a qu’un silence pesant pour nous éclairer.

Ce faisant, il se retrouve en phase avec la députée de son groupe, @Danièle Obono qui, après l’attentat de Charlie déclarait : « Je n’ai pas pleuré Charlie. J’ai pleuré toutes les fois où des camarades ont défendu, mordicus, les caricatures racistes de Charlie Hebdo ou les propos de Caroline Fourest au nom de la « liberté d’expression » des blanches dominantes ou de la laïcité « à la Française ».

Autre député LFI, Alexis Corbières, a été tout aussi réactif et fuyant, mais a reconnu que sa participation à la manifestation « contre l’islamophobie » le 10 novembre 2019, pouvait poser problème « des personnes peu fréquentables y étaient présentes ». C’est peu dire. Dans le cortège, à l’appel de plusieurs personnalités et organisations, comme le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ou encore le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une fillette portait une étoile jaune sur son manteau ! Ce qui avait provoqué de nombreuses indignations.

Le NPA organisateur de cette manifestation ne pouvait surprendre ceux qui se souvenaient de la candidature, en 2010, d’une femme voilée « féministe et anticapitaliste » aux élections régionales dans le Vaucluse.

Si l’on regarde du côté des Verts, plutôt silencieux, dans une interview à #Libération, @Éric Piolle, maire de Grenoble et candidat à la candidature chez Europe Écologie Les Verts (#EÉLV) s’insurge contre la désignation de «boucs émissaires» par l’utilisation du terme d’islamo-gauchistes, manœuvre derrière laquelle il voit, ni plus ni moins, la main… d’Emmanuel Macron. 

À l’inverse, sur ces chemins croisés entre gauchisme et islam radical, @Malek Bouthi, l’ancien responsable de #SOS Racisme, ne mâche pas ses mots en accusant Jean-Luc Mélenchon : « de biberonner la jeunesse à la haine » et il lie La France insoumise à Daech. Ce dernier point est à l’évidence déplacé et exagéré. Les haines entre anciens amis produisent aussi ce genre d’effets.

L’islam radical se joue des extrêmes, gauche et droite et les deux extrémismes croient se jouer de l’islam politique (certains le soutiennent franchement). Mais aujourd’hui un seul constat : l’islam radical est le seul gagnant. C’est lui qui progresse sans perdre de vue son objectif : l’effondrement de notre démocratie et la victoire de sa vision du monde dans notre pays. Il en a les moyens et le temps.

Kamel Daoud nous alerte gravement : « On conteste ce que la seconde guerre d’Algérie illustre : l’islamisme tue. Tôt ou tard. L’« identité » est un faux-fuyant. La neutralité est une impossibilité ou juste du temps mort avant la prochaine mort. Le djihadiste n’est jamais vaincu par l’attendrissement intellectuel, qui immobilise sa proie, pas son bras armé. La culpabilité ou la culpabilisation sont des lâchetés déguisées en exercices de bonne conscience. » @Jérôme Fourquet, dans l’hebdomadaire le un du 21 octobre dresse le même constat d’urgence. Le directeur de #l’IFOP et auteur de « L’Archipel français : naissance d’une nation multiple et divisée » y écrit : « Depuis très longtemps, ceux qui voulaient voir la réalité la décrivaient. Mais un couvercle a été mis par une partie du monde intellectuel et médiatique, par des institutions gênées de montrer leur propre échec, par des responsables politiques qui, par idéologie ou bon sentiment, ont dit : pas d’amalgame, pas de stigmatisation. Sauf que nous sommes maintenant dans une situation très décomposée. »

Il faut en avoir pleine conscience, et pour cela en débattre dans toute la société.

* Article « L’école, c’est l’avenir du Califat ». Le Point, numéro 2513, 22 octobre 2020. 

Livres éclairants sur l’entreprise politique et idéologique des islamistes politiques : Comment on a laissé l’islamisme entrer à l’école de Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l’Éducation nationale ; les ouvrages des chercheurs de l’équipe de Gilles Kepel ; Les Territoires conquis de l’islamisme de Bernard Rougier ; Jihadisme français d’Hugo Micheron.

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